Aimé Césaire - Cahier d’un retour au pays natal
DEBOUT MAINTENANT, MON PAYS ET MOI
Aimé Césaire
Introduction
Debout maintenant, mon pays et moi est un texte poétique extrait de Cahier d'un retour au pays natal, que l'on peut considérer comme un violent élan lyrique, ainsi qu'un vertigineux défilement d'images, de cris, de contradictions, qui ont permis à Aimé Césaire d'exprimer la complexité de ses interrogations d'homme.
Ce poème peut être décomposé en deux parties, une partie poétique, puis une partie argumentative et aborde trois thèmes principaux : la critique de la société coloniale, l'originalité de la langue et des images et enfin, la négritude.
Nous ferons de ce poème une étude thématique en trois parties. Nous verrons d'abord l'acceptation de soi qui s'accompagne d'une définition de la négritude. Cette observation nous conduira à étudier la synthèse de l'homme et du pays puis nous finirons par la révolte qui marque toute la fin du poème.
Lecture
Au bout du petit matin, flaques perdues, parfum errants, ouragans échoués,
coques démâtées, vieilles plaies, os pourris, buées, volcans enchaînés, morts
mal racinés, crier amer. J'accepte !
Et mon originale géographie aussi ; la carte du monde faite à mon usage,
non pas teinte aux arbitraires couleurs des savants, mais à la géométrie de mon sang
répandu, j'accepte
et la détermination de ma biologie, non prisonnière d'un angle facial, d'une
forme de cheveux, d'un nez suffisamment aplati, d'un teint suffisamment mélanien,
et la négritude, non plus un indice céphalique, ou un plasma, ou un soma, mais
mesurée au compas de la souffrance
et le nègre chaque jour plus bas, plus lâche, plus stérile, moins profond,
plus répandu au-dehors, plus séparé de soi-même, moins immédiat avec soi-même,
j'accepte, j'accepte tout cela
et loin de la mer de palais qui déferle sous la syzygie suppurante des
ampoules, merveilleusement couché le corps de mon pays dans le désespoir de mes bras,
ses os ébranlés et, dans ses veines, le sang qui hésite comme la goutte de lait
végétal à la pointe blessée du bulbe...
Et voici soudain que force et vie m'assaillent comme un taureau et l'onde
de vie circonvient la papille du morne, et voilà toutes les veines et veinules qui
s'affairent au sang neuf et l'énorme poumon des cyclones qui respire et le feu
thésaurisé des volcans et le gigantesque pouls sismique qui bat maintenant la
mesure d'un corps vivant en mon ferme embrasement.
Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le
vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n'est pas en nous,
mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l'audience comme
la pénétrance d'une guêpe apocalyptique. Et la voix prononce que l'Europe nous a
pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences,
car il n'est point vrai que l'oeuvre de l'homme est finie
que nous n'avons rien à faire au monde
que nous parasitons le monde
qu'il suffit que nous nous mettions au pas du monde
mais l'oeuvre de l'homme vient seulement de commencer
et il reste à l'homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins
de sa ferveur
et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la
force
et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons
maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu'a fixée
notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement
sans limite.
-Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, Ed. Présence africaine
Aimé Césaire
Introduction
Debout maintenant, mon pays et moi est un texte poétique extrait de Cahier d'un retour au pays natal, que l'on peut considérer comme un violent élan lyrique, ainsi qu'un vertigineux défilement d'images, de cris, de contradictions, qui ont permis à Aimé Césaire d'exprimer la complexité de ses interrogations d'homme.
Ce poème peut être décomposé en deux parties, une partie poétique, puis une partie argumentative et aborde trois thèmes principaux : la critique de la société coloniale, l'originalité de la langue et des images et enfin, la négritude.
Nous ferons de ce poème une étude thématique en trois parties. Nous verrons d'abord l'acceptation de soi qui s'accompagne d'une définition de la négritude. Cette observation nous conduira à étudier la synthèse de l'homme et du pays puis nous finirons par la révolte qui marque toute la fin du poème.
Lecture
Au bout du petit matin, flaques perdues, parfum errants, ouragans échoués,
coques démâtées, vieilles plaies, os pourris, buées, volcans enchaînés, morts
mal racinés, crier amer. J'accepte !
Et mon originale géographie aussi ; la carte du monde faite à mon usage,
non pas teinte aux arbitraires couleurs des savants, mais à la géométrie de mon sang
répandu, j'accepte
et la détermination de ma biologie, non prisonnière d'un angle facial, d'une
forme de cheveux, d'un nez suffisamment aplati, d'un teint suffisamment mélanien,
et la négritude, non plus un indice céphalique, ou un plasma, ou un soma, mais
mesurée au compas de la souffrance
et le nègre chaque jour plus bas, plus lâche, plus stérile, moins profond,
plus répandu au-dehors, plus séparé de soi-même, moins immédiat avec soi-même,
j'accepte, j'accepte tout cela
et loin de la mer de palais qui déferle sous la syzygie suppurante des
ampoules, merveilleusement couché le corps de mon pays dans le désespoir de mes bras,
ses os ébranlés et, dans ses veines, le sang qui hésite comme la goutte de lait
végétal à la pointe blessée du bulbe...
Et voici soudain que force et vie m'assaillent comme un taureau et l'onde
de vie circonvient la papille du morne, et voilà toutes les veines et veinules qui
s'affairent au sang neuf et l'énorme poumon des cyclones qui respire et le feu
thésaurisé des volcans et le gigantesque pouls sismique qui bat maintenant la
mesure d'un corps vivant en mon ferme embrasement.
Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le
vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n'est pas en nous,
mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l'audience comme
la pénétrance d'une guêpe apocalyptique. Et la voix prononce que l'Europe nous a
pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences,
car il n'est point vrai que l'oeuvre de l'homme est finie
que nous n'avons rien à faire au monde
que nous parasitons le monde
qu'il suffit que nous nous mettions au pas du monde
mais l'oeuvre de l'homme vient seulement de commencer
et il reste à l'homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins
de sa ferveur
et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la
force
et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons
maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu'a fixée
notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement
sans limite.
-Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, Ed. Présence africaine
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