Mongo beti-Mains basse sur le Cameroun
C'est votre histoire
Mongo Beti et la genèse du livre "Main basse sur le Cameroun"
Le 22 novembre 1970, quelques semaines après l'arrestation d'Ernest Ouandié et de Mgr Albert Ndongmo (1), l'écrivain Mongo Beti adresse - sous son vrai nom, Alexandre Biyidi - une lettre à Théodore Monod, président du Comité international de défense d'Ernest Ouandié (CIDEO). Il s'agit d'une lettre inédite (nous la publions ici pour la première fois):
"Monsieur,
J’ai été extrêmement heureux d’apprendre par la presse qu’il s’est constitué un comité de défense d’Ernest Ouandié et que vous en êtes le Président. Originaire du Cameroun moi-même, militant de l’UPC jusqu’à la dissolution de sa section française par M. Roger Frey, alors ministre de l’Intérieur, je ne saurais trop vous dire ma reconnaissance pour votre courageuse générosité envers Ernest Ouandié, c’est-à-dire envers le Cameroun et ses malheureuses populations que broie depuis douze ans l’impitoyable mécanique d’un régime authentiquement fasciste.
Permettez-moi en conséquence de participer à l’entreprise de justice de votre comité et de mettre à votre disposition une modeste somme pour l’envoi de laquelle vous voudrez bien me faire savoir le numéro du compte chèques postaux du comité. Permettez-moi en outre d’attirer votre attention sur l’attitude du journal « Le Monde » qui, sous la plume de P. Biarnès, publie dans son numéro du 22 novembre un article conçu à l’évidence en vue de mettre l’opinion française en condition et la préparer à accueillir un verdict criminel. Vous savez d’ailleurs certainement que « Le Monde » s’est toujours comporté en appui inconditionnel du régime fasciste d’Ahidjo dans sa répression contre la gauche camerounaise. Il faut savoir surtout que le gouvernement de la France a constamment accordé à ce régime une assistance illimitée dans tous les domaines (finances, armée, police, etc…).
Si vous avez besoin de mon témoignage sous quelque forme que ce soit (écrite ou orale), je suis entièrement à votre disposition. En attendant de connaître le numéro de compte chèques postaux du comité, je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments de profonde gratitude."
La réponse du CIDEO est datée du 24 décembre 1970 (2) :
"S’il vous est possible de nous donner par écrit quelques informations sur la mécanique du régime Ahidjo cela pourra nous être utile et nous essaierons de faire passer ces indications dans la presse, bien que, comme vous devez bien le savoir, nous avons d’extrêmes difficultés à faire passer un certain nombre d’information.
Nous avons bien noté la position prise dans Le Monde par M. Biarnès et nous n’avons pas été étonnés de la difficulté avec laquelle Le Monde a accepté un certain nombre d’informations non conforme à l’orthodoxie inconditionnelle d’appui au régime."
Alors que Ouandié est condamné lors d'une parodie de procès à Yaoundé et exécuté quelques jours plus tard sur une place publique de Bafoussam, Mongo Beti entame la rédaction d'un nouveau livre: "Main basse sur le Cameroun. Autopsie d'une décolonisation". Il expliquera sa démarche dans le journal "Rouge", qui l'interrogera sur le procès Ouandié quelques années plus tard: "Alors là, çà a été un cri de révolte, ça a jailli, et j'ai très vite écrit 'Main basse sur le Cameroun'".
Le livre, proposé à plusieurs éditeurs, est notamment refusé par les éditions du Seuil. Jean Lacouture, qui officie dans cette maison d'édition, écrit à Mongo Beti la lettre suivante:
"Cher Monsieur,
Nous vous remercions de nous avoir envoyé votre manuscrit sur les Procès du Cameroun. Ce violent réquisitoire contre la personne même de M. Ahidjo nous semble trop passionnel, trop diffamatoire pour constituer une "autopsie" scientifique. Il ne suffit pas d'attaquer un homme pour attaquer un régime.
Je pense même que le ton et la forme de ce pamphlet nuisent à vos idées et à votre cause dans la mesure où ils ne peuvent convaincre sans arguments solides.
Pour toutes ces raisons, il nous est malheureusement impossible d'envisager de publier votre livre.
Avec tous nos regrets, nous vous prions de croire, Monsieur, à l'assurance de nos sentiments distingués (3)."
Bien au-delà de la personne d'Ahidjo, ce livre remarquable décortique l'oppression néocoloniale de la France au Cameroun. Il sera finalement publié par les éditions Maspero fin juin 1972. Moins d'une semaine après sa parution, l'ouvrage est interdit par les autorités françaises. Les exemplaires sont saisis le 2 juillet.
Interdit en France, "Main basse sur le Cameroun" sera publié au Québec, par les Editions Québécoises, en 1974. C'est à cette occasion que des documentaristes engagés réaliseront le premier film jamais produit sur la guerre du Cameroun: "Contre censure". Rendu public en 1976, ce film documentaire dure une vingtaine de minutes (4). Alors que des centaines d'exemplaires de l'édition québécoise du livre, expédiés clandestinement dans l'Hexagone, sont saisis par la police française, un article de presse s'interroge: "[Le film] se verra-t-il accorder un visa d'exploitation ou sera-t-il condamné aux projections privées?"
Ce n'est finalement qu'en 1977, après un long combat judiciaire, que le livre pourra être publié en France. Dans la préface de cette nouvelle édition (que nous avons mise en ligne), Mongo Beti raconte en détail l'acharnement dont il a été victime au cours de ces cinq années de censure. Théorisant avant l'heure ce que l'on qualifiera plus tard de "Franceafrique
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